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Yves Rocher
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Entrevue avec Sophie Bienvenu

Née en Belgique et établie au Québec depuis plus de 15 ans, Sophie Bienvenu s'est rapidement imposée comme l'une des écrivaines les plus en vue de la scène littéraire locale et internationale.

Son premier roman, Et au pire on se mariera, récipiendaire de nombreux prix, fut adapté au théâtre par la compagnie Ex-Libris et au grand écran par la réalisatrice Léa Pool. Depuis, elle a signé deux autres romans (Chercher Sam, 2014 et Autour d'elle, 2016), un livre pour enfants (La princesse qui voulait devenir générale, 2017) et un recueil de poésie (Ceci n'est pas de l'amour, 2016). Elle travaille actuellement à l'écriture du scénario de l'adaptation au grand écran de Chercher Sam et de deux séries télé.

Sophie BienvenuCrédit Sarah Scott

Depuis quelques années, vous revendiquez l'utilisation du mot autrice, plutôt que le plus répandu auteure, pour décrire votre profession. Pourquoi autrice?

 Quand j'ai commencé à l'utiliser, c'était un statement féministe. Pourquoi dirait-on auteure, alors que le féminin de -teur, c'est -trice? Après l'avoir vu employé par des féministes françaises, j'ai fait mes recherches et appris qu'au XVIIe siècle, l'Académie française – constituée exclusivement d'hommes – a décidé d'effacer du langage toutes les versions féminines des métiers de pouvoir et de prise de parole sous prétexte que ces derniers étaient réservés aux hommes.

Le mot autrice, jusque-là utilisé, est ainsi disparu avec plusieurs autres. Or, le langage, c'est mon métier; il est important pour moi d'utiliser les mots justes, car chaque mot représente un choix. Employer autrice, c'est faire en sorte que le féminin, en plus de se lire, puisse aussi s'entendre.

 

DE QUELLE FAÇON LE FAIT D'ÊTRE UNE FEMME A-T-IL INFLUENCÉ VOTRE ÉCRITURE?

Sans avoir été un obstacle comme tel, être une femme ne m'a sans doute pas rendu service. Le milieu de la littérature demeure assez macho; on le constate quand on regarde le nombre de maisons d'édition tenues par des femmes, ou encore combien de femmes écrivent par rapport aux prix qu'elles reçoivent.

Si l'expérience féminine est d'une grande richesse, les gens s'intéressent davantage aux personnages masculins avec qui ils ont pris l'habitude de s'identifier, et ce, quel que soit leur genre. On s'identifie facilement aux hommes, aux Blancs et aux personnages hétéros parce qu'ils si sont largement représentés qu'on perçoit leurs expériences comme étant universelles. Mais quand on écrit une histoire mettant en vedette un personnage féminin, ça devient immédiatement « un livre de fille ».

Quand j'ai commencé dans le métier, je ne réfléchissais pas vraiment à tout ça. Au moment d'écrire mon premier roman, je ne me considérais pas comme féministe, mais aujourd'hui, je le suis ouvertement. Le cheminement que j'ai fait dans ma vie personnelle influence évidemment ma façon d'écrire. Plus je m'informe et évolue dans mon militantisme, plus je ressens le besoin de raconter l'histoire des femmes et de porter un message féministe et intersectionnel dans mes œuvres.

Qu'entendez-vous par féminisme intersectionnel?

 L'intersectionnalité, pour moi, est à la rencontre du féminisme et l'antiracisme, deux combats indissociables qui m'importent énormément. Tout en étant consciente de l'oppression que je subis, en tant que femme, je reconnais mes privilèges de Blanche. C'est mon devoir de les utiliser pour soutenir celles qui n'en jouissent pas et faire en sorte qu'elles aient, elles aussi, une place à la table.

 Le féminisme, c'est revendiquer le droit des femmes à faire leurs propres choix. À dire ce qu'elles pensent, à porter ce qu'elles veulent et à vivre comme elles le souhaitent. Il n'existe pas un seul choix qui soit valable ni une seule façon de voir la vie. C'est important, selon moi, de changer de lunettes; d'éviter de juger de ce qui est bon pour les autres à travers mes yeux de privilégiée et d'imposer mes valeurs à tout le monde. Je trouve le féminisme blanc et occidental hypocrite, dans cette façon qu'il a d'infantiliser les femmes d'autres cultures et de tenter de les contrôler, sous prétexte qu'il veut les libérer, en prenant pour acquis qu'elles ne sont pas capables de prendre des décisions pour elles-mêmes. Décider à la place d'une autre femme, ça n'a rien de féministe. Le droit de choisir devrait être accordé à toutes, que leurs décisions soient celles que l'on prendrait pour soi-même ou non.

Comment abordez-vous ces questions dans vos récits?

 C'est important pour moi de parler des femmes dans leur pluralité, leur complexité et leur différence. Je m'efforce d'inclure davantage de personnages issus d'une plus grande diversité, mais surtout de le faire comme il faut. Pour mon prochain roman qui se déroule dans les Caraïbes, par exemple, j'ai discuté et discuterai encore avec de nombreuses femmes caribéennes afin de les représenter correctement. Ce n'est pas suffisant d'écrire un personnage, de le colorer en brun et dire qu'il est caribéen.

Trop de personnages féminins, dans la littérature, sont stéréotypés. Dans les romans policiers, on a la fille sexy ou la fille sérieuse; ces temps-ci, on voit partout ce personnage de femme parfaite, quasiment super héroïne. Là où l'écriture rejoint l'intersectionnalité, c'est qu'il n'y a pas qu'une seule histoire de la femme; il y a autant de femmes différentes que d'histoires à raconter.

Comme vous le savez, Yves Rocher Canada s’est engagé à verser Les fonds récoltés dans le cadre de la campagne Agir en Beauté à un organisme de votre choix. Pourquoi avez-vous choisi le Centre des Femmes d'ici et d'ailleurs?

 C'est un organisme qui incarne la société dans laquelle je voudrais vivre. Un endroit où les femmes de toutes les origines peuvent se retrouver, partager et s'entraider. J'aime l'idée qu'une femme qui arrive d'ailleurs, sans repères, sans ressources et parfois sans parler la langue, puisse se rendre au Centre et recevoir des services adaptés à ses besoins.

On parle souvent de l'intégration des nouveaux arrivants, mais il n'y a pas d'intégration possible sans briser la solitude. Le Centre des Femmes d'Ici et d'Ailleurs, c'est un lieu d'entraide pour les femmes avec, et non en dépit, de leurs différences. Et la solidarité féminine est l'une des choses les plus puissantes et les plus transformatrices qui soient.

Centre des Femmes d'Ici et d'Ailleurs

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